Publié le 07 novembre 2025

Aux origines des monuments aux morts

Dès mars 1800, Napoléon Bonaparte envisage l’érection de colonnes départementales « à la mémoire des soldats pour la défense de la patrie et de la liberté ». Mais cette initiative reste sans suite. Il faut attendre la guerre franco-prussienne de 1870-1871 pour voir apparaître les premiers monuments aux morts en France. La III République y voit un moyen d’exprimer l’unité nationale et inaugure les premières célébrations patriotiques.

C’est toutefois après la Première Guerre mondiale (1914-1918) que leur édification prend une ampleur inédite. Véritable hécatombe de 1,4 million de morts et 3 millions de blessés sur 8 millions de mobilisés, la construction des monuments aux morts s’impose comme un impérieux devoir de mémoire. Ainsi, entre 1920 et 1925, 35 000 de ces édifices sont érigés malgré les difficultés économiques de l’époque. Aujourd’hui, plus de 95 % des communes françaises en possèdent un.

Monument aux Morts de la Grande Guerre (1914-1918). Carte postale, 1921 [correspondance]. Archives communales de Mérignac, 14 Fi 21.
Monument aux Morts de la Grande Guerre (1914-1918).
Carte postale, 1921 [correspondance].
Archives communales de Mérignac, 14 Fi 21.

Le Monument aux Morts de Mérignac

À Mérignac, le projet d’un monument aux morts est proposé dès le 22 décembre 1918.
La souscription publique atteint 18 000 francs, sur un budget total de 39 000 francs. L’architecte Lacussan et le sculpteur Paul Mora sont choisis pour concevoir l’œuvre qui est inaugurée le 29 mai 1921 sur l’actuelle place Charles-de-Gaulle, alors place de l’Église.

Par manque d’espace, les plaques portant les noms des soldats ne sont pas immédiatement apposées et le Conseil Municipal privilégie le placement deux tablettes de marbre à l’entrée de la mairie. Dans les archives, elles sont visibles sur le Monument aux Morts qu’à partir de 1953, mais aucun document qui révèle la date précise de la pose n’a été retrouvé.

Le monument est restauré en 2003 : la patine du bronze du soldat est refaite, la pierre réagrégée et les plaques entièrement remplacées. Y figurent désormais les noms des Mérignacais tombés au cours des guerres de 1914-1918, 1939-1945, ainsi que ceux des conflits d’Indochine et d’Algérie.

Monument aux Morts pour la Patrie. Carte postale, s.d. Archives communales de Mérignac, 13 Fi 54.
Monument aux Morts pour la Patrie.
Carte postale, s.d.
Archives communales de Mérignac, 13 Fi 54.

Les monuments du cimetière communal

Au début de la Grande Guerre, l’inhumation des soldats n’est pas une priorité. Les morts sont enterrés sur place, parfois dans des fosses communes. On ouvre ensuite des cimetières militaires provisoires, souvent à côté des cimetières communaux qui sont généralement peu utilisés pour les inhumations de soldats. On dénombre souvent un seul cimetière militaire dans chaque commune de l’arrière-front, contrairement à plusieurs dans les communes qui sont traversées par le front. Enfin, l’inhumation en tombes isolées dans la campagne ou même dans les jardins des villages habités ne disparaissent pas totalement.

Cérémonie militaire au caveau du cimetière. Photographie couleur, studio Boisnier, s.d. Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 399.
Cérémonie militaire au caveau du cimetière.
Photographie couleur, studio Boisnier, s.d.
Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 399.

De 1919 à 1924, une première campagne rassemble les sépultures et les restes épars dans un petit nombre de cimetières dits « de regroupement ». Ce sont là que les familles qui le désirent viendront reconnaitre les restes de leur parent avant de les rapatrier dans leur territoire d’origine. Environ 30% des corps identifiés seront ainsi restitués.

Deux monuments distincts sont érigés dans le cimetière communal pour perpétuer le souvenir des Mérignacais tombés au combat.

Cérémonie patriotique au carré militaire du cimetière. Photographie couleur, studio Boisnier, s.d. Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 383.
Cérémonie patriotique au carré militaire du cimetière.
Photographie couleur, studio Boisnier, s.d.
Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 383.

Le caveau militaire

La loi du 31 juillet 1920 autorise officiellement la restitution des corps aux frais de l’État. Les communes, comme Mérignac, accordent alors des concessions gratuites à perpétuité pour accueillir les soldats rapatriés dans des caveaux ou des « carrés militaires » où reposent les Morts pour la France.

Ainsi, en 1920, le Conseil municipal décide de rassembler dans un même lieu les corps des soldats Morts pour la France.

En attendant le choix du terrain, les corps sont reçus au dépositoire du cimetière. Après la délibération du Conseil municipal en juillet 1921, un caveau est construit dans la partie la plus ancienne du cimetière. D’après les plans de Lacussan et du sculpteur Raoul, il est volontairement sobre et ne comporte aucune liste nominative, se limitant à la simple inscription : « Aux enfants de Mérignac Morts pour la France ».

Cérémonie patriotique au caveau militaire du cimetière Photographie N et B, Ernest Boisnier, s.d. Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 372.
Cérémonie patriotique au caveau militaire du cimetière
Photographie N et B, Ernest Boisnier, s.d.
Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 372.

Le nombre exact de soldats inhumés y reste inconnu : le choix est fait de ne pas inscrire les noms sur le monument car les familles ont la possibilité d’exhumer les corps. Ainsi, seuls les noms de ceux qui ont été inhumés dans le caveau postérieurement et les noms de ceux qui ont été exhumés sont connus, car les décisions apparaissent dans les registres de délibérations. Autour du caveau, quelques plaques déposées par les familles rappellent encore la présence de leurs proches.

Cérémonie patriotique au caveau du cimetière. Photographie N et B, studio Boisnier, s.d. Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 397.
Cérémonie patriotique au caveau du cimetière.
Photographie N et B, studio Boisnier, s.d.
Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 397.

Le carré militaire

Le 26 mars 1949, une autorisation est donnée au maire par le Conseil municipal de prendre toute disposition en vue de la délimitation et de l’aménagement d’un « carré militaire » au cimetière communal.

Il est orné d’un fronton commémoratif réalisé par le sculpteur Jean-Louis Cazieux et décoré d’une croix de guerre surmontée d’un médaillon circulaire portant l’inscription « À nos morts ». Les plaques du fronton mentionnent les Mérignacais morts au cours des deux guerres mondiales, ainsi que ceux des guerres d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Une de ces plaques a été restaurée en 2001, ce qui a permis le rajout de trois « Morts pour la France » reconnus en 1983. Les plaques individuelles des croix latines ont été restaurées en 2003.

Un seul soldat de la Première Guerre mondiale y repose : Louis Minoret (1896-1916), dont le cercueil, trop long, n’avait pu être déposé dans le caveau militaire prévu à cet effet.

Cérémonie patriotique au carré militaire du cimetière. Photographie N et B, studio Boisnier, s.d. Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 374.
Cérémonie patriotique au carré militaire du cimetière.
Photographie N et B, studio Boisnier, s.d.
Archives communales de Mérignac. Fonds Ernest et Lucien Boisnier, 7 Num 374.

Le carré militaire témoigne également des épreuves de la Seconde Guerre mondiale à travers les sépultures de militaires et de civils. Si tous ne portent pas la mention officielle « Mort pour la France », chacun d’eux est reconnu comme victime de guerre, en hommage à leur parcours et aux circonstances tragiques de leur disparition.

Ruchla Bezemann (1872-1944)

Ruchla Bezemann, née en 1872 en Russie, grandit dans une période marquée par les bouleversements politiques et les mouvements migratoires de la fin du XIXᵉ siècle. Avec son époux Maier Bezemann, elle quitte la Russie pour rejoindre l’Empire austro-hongrois, avant de s’établir définitivement en France, à Nancy. Mariés en août 1890, Ruchla et Maier ont trois enfants, dont leur fille aînée Rosa également mère de trois enfants. Plus tard, après la déportation et l’assassinat de son mari à Auschwitz, Rosa trouve refuge au Chili, où s’établissent plusieurs descendants de la famille.

Ruchla Bezemann obtient la nationalité française en 1926, bien avant le régime de Vichy. Elle n’est donc pas concernée par la loi du 22 juillet 1940 qui réexamine les naturalisations postérieures à 1927 et entraîne la déchéance de nationalité de plus de 15 000 personnes pour motifs politiques ou raciaux. Cette mesure est finalement annulée par l’ordonnance du 24 mai 1944, et les nationalités françaises sont restituées.

Veuve depuis 1935, Ruchla poursuit sa vie à Nancy, où son mari repose au cimetière israélite de Préville. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, la communauté juive est frappée de plein fouet par les persécutions. Le 19 novembre 1939, Ruchla est évacuée avec une partie de sa famille par train, de Nancy vers la région bordelaise. À son arrivée, elle est enregistrée comme « juive » et reçoit le numéro 200.

À la fin de l’année 1943, dans le contexte des mesures antisémites édictées par le gouvernement de Vichy, elle est internée au camp de Beaudésert, à Mérignac. Ruchla Bezemann y subit des conditions de vie extrêmement dures : privations, malnutrition, épuisement, mauvaises conditions hygiéniques. Cela entraîne une dégradation rapide de sa santé, et elle décède le 13 mai 1944 d’un arrêt cardiaque.

Après la guerre, elle est inhumée dans la section militaire du cimetière de Mérignac, qui en honore les victimes. Le souvenir de Ruchla, visible par sa croix latine, reste présent jusqu’en 2016. En effet, à l’initiative de son descendant Gil Wisniak, petit-fils de sa fille Rosa, son corps est retrouvé, exhumé et transféré à Nancy. L’aboutissement de cette démarche est rendu possible grâce à l’aide et l’accompagnement de Valérie Fauché, fonctionnaire à la mairie de Mérignac, de l’historienne Charlotte Goldberg et George Loeb. Ainsi, le jeudi 12 mai 2016, exactement soixante-douze ans après sa mort, elle rejoint définitivement son époux Maier Bezemann, au cimetière israélite de Nancy-Préville. Ce geste symbolique marque la clôture d’un long parcours de mémoire et de justice familiale.

Elle n’est cependant pas, à ce jour, reconnue comme « Morte pour la France ».

Croix latine du cimetière. Photographie couleur, 2012. Archives communales de Mérignac.
Croix latine du cimetière.
Photographie couleur, 2012.
Archives communales de Mérignac.

Jorge Alonzo (1878-1944) et Andréa Zueras (1886-1944)

Originaires d’Espagne, Jorge Alonzo et son épouse Andréa Zueras se marient en 1905 et s’établissent en France à partir de 1912. Ouvrier manœuvre, Jorge Alonzo travaille pendant quatorze années dans la région bordelaise jusqu’en 1926 où il demande sa naturalisation française, souhaitant s’installer définitivement en France. Le couple, ainsi que ses onze enfants, obtient la nationalité en 1927. Jorge Alonzo s’était notamment illustré en sauvant un homme sur son lieu de travail, à la société des Docks Sursols, située sur la rive droite de la Garonne à Bordeaux.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Jorge Alonzo n’est pas mobilisé en raison de son âge, mais quatre de ses fils, trois bûcherons et un matelot, servent sous les drapeaux jusqu’en 1940.

Le 26 novembre 1941, une lettre adressée au préfet de la Gironde signale Jorge Alonzo et ses fils Justin et Michel comme « individus dangereux pour la sécurité publique ». Les autorités préfectorales préconisent alors une procédure de dénaturalisation à leur encontre, en application de la loi du 22 juillet 1940 promulguée par le régime de Vichy. Malgré des années de travail en France et le service rendu à la Nation, la famille Alonzo est ainsi visée en raison de son origine étrangère. Cette décision s’appuie sur des rapports de police et de gendarmerie, cherchant à légitimer une mesure essentiellement politique et xénophobe.

Le 3 août 1942, Jorge et Andréa Alonzo sont officiellement déchus de leur nationalité française.
Le 5 mars 1943, ils sont internés comme prisonniers politiques au camp de Beaudésert, avec son épouse Andréa et sept de leurs onze enfants. Le couple décède le 27 mars 1944, victime des bombardements alliés qui touchent le camp d’internement.

Leur corps sont exhumés le 12 septembre 1973 du cimetière de Mérignac et transportés au cimetière de la Teste-de-Buch (Gironde). À ce jour, seul Jorge est mentionné sur le site « Mémoire des Hommes », contrairement à son épouse.

Leur parcours témoigne de la dure réalité vécue par de nombreuses familles étrangères, persécutées durant la Seconde Guerre mondiale.

Sources

Archives communales de Mérignac :

Inventaires disponibles en salle de lecture.

  • Série D – Délibérations du Conseil municipal.
  • Série E – État civil.
  • 948 W 12 – Affaires militaires.
  • 948 W 13 – Dossiers individuels des Morts pour la France pendant la Deuxième Guerre mondiale (1940-1959).
  • 143 W 51 – Travaux exécutés (1969-1970).
  • 143 W 46 – Travaux sur le monument aux morts place Charles-de-Gaulle (1948-1951).

 

Archives Nationales :

Dossiers des dénaturalisés de Vichy

 

Service historique de la Défense :

Mémoire des Hommes

 

Pour poursuivre les recherches :

Le site Grand Mémorial centralise les fiches des matricules militaires de tous les soldats de la Première Guerre mondiale.